vendredi 16 novembre 2012

Quand le SNES fait la promotion de l'école du socle

Si si, je vous assure ! Non, vous ne me croyez pas ! Bon, c'est vrai, j'exagère un peu, enfin non, c'est le SNES qui exagère beaucoup. Voici pourquoi.

 L'USMagazine, dans son supplément au n°724 du 20 octobre 2012, propose un dossier de sept pages intitulé « primaire-collège, accompagner la rupture » ! Le sujet est sensible et d'actualité dans le cadre de la refondation et de l'élaboration de la loi d'orientation et de programmation. Comme le souligne Daniel Robin dans son édito, « le plus marquant est celui qui découle du projet du ministre d'un rapprochement premier-second degré ouvrant la possibilité pour les CA des EPLE d'expérimenter notamment des modifications des statuts des enseignants... » Horreur ! Ces statuts ont été gravés dans le marbre en 1950, pas question d'y toucher avant... 2150. Je m'égare, reprenons l'édito : « … ce qui conduirait tout droit à imposer dans ces établissements la bivalence et l'intervention de professeurs des écoles au collège, et réciproquement. » Daniel Robin explique ensuite comment le SNES a obtenu (victoire) le retrait du statut de l' « expérimentation » de la prochaine loi d'orientation. Ouf, le métier est sauvé ! Et sans doute le niveau des élèves avec, comme nous l'explique le cosecrétaire général du SNES : « Aujourd'hui, le constat est alarmant : près d'un élève sur cinq en fin de CM2 n'est pas en situation de poursuivre, avec des chances réelles de succès, sa scolarité au collège. Par conséquent, on peut se demander si exporter dans le second degré le fonctionnement du premier est une réponse pertinente. »
On s'attend donc, légitimement, en parcourant le dossier de l'USMag, à lire les propositions du SNES concernant cette fameuse liaison CM2-6ème. 7 pages, c'est confortable, ça laisse le temps de développer et d'expliciter comment s'y prendre. Or, quelle ne fut pas notre surprise de lire une seule expérience de terrain, menée à Toulon, coordonnée par un IEN et une IPR de lettres. On repassera pour avoir un témoignage de professeur. Mais penchons-nous sur ladite expérience, qui est en fait un dispositif expérimental, de la même nature que ce qui a été combattu par le SNES et arraché des mains du ministre et de la clique de dangereux pédagogistes. Oups, je m'égare encore. L'article et l'expérimentation décrite sont en fait très intéressants. Lisez-le (p.26). L'IEN l'avait d'ailleurs présenté longuement lors des réunions de refondation, où étaient présents tous les syndicats. Or, alors que cela n'apparaît jamais dans l'article de l'USMag, cette expérimentation porte un nom : l'école du socle. C'est très clairement décrit sur le site de la Pasi de Nice, et on peut aussi lire la contribution des auteurs sur le site de la refondation. Il est question de conseil du socle (un conseil pédagogique réunissant professeurs du collège, des écoles et piloté par l'inspection) et de réseaux du socle commun réunissant le collège et les écoles du secteur.

Qu'en conclure ?
* D'abord je me réjouis que le SNES puisse trouver de l'intérêt à ce projet crédible et réaliste, que l'on peut considérer à juste titre comme une clé d'incarnation des réseaux du socle commun.
* Ensuite qu'il est regrettable que l'USMag ait oublié de mentionner dans son introduction que ce projet relève bien de la logique du socle commun, mais on comprend l'omission, bien qu'elle soit un tantinet malhonnête.
* Enfin que présenter cette « expérimentation » est contradictoire avec le fait de vouloir supprimer le statut de l'expérimentation de la prochaine loi (à moins que le SNES souhaite en fait la généralisation immédiate des réseaux du socle commun ?).

Alors même que cette expérimentation prouve qu'il est possible de travailler ensemble de manière ambitieuse, de faire des échanges de service, dans un cadre déterminé, qui garantit le respect des statuts des différents personnels : «  L’expérience menée pour un réseau du socle sur une circonscription de Toulon montre qu’il n’est pas besoin de changer les fonctionnements spécifiques aux deux degrés d’enseignement, ni les modalités de travail qui leur sont propres, pour changer l’esprit pédagogique d’accompagnement des élèves, et, ce faisant, permettre la réussite des élèves plus en difficultés. » (Source : les mêmes auteurs sur le site de la refondation) 

Or, on ne peut que s'inquiéter de la disparition de l'expérimentation dans la future loi, car cette disposition est justement à même de garantir un cadre et de préserver des droits. Que se passera-t-il si l'expérimentation disparaît ? Que deviendront toutes les expérimentations menées, et pas seulement en ECLAIR ? Les collègues engagés dans des réseaux du socle auront simplement perdu un cadre sécurisant pour mener les projets. Le SNES pourra se réjouir que tout ce petit monde sera rentré au bercail, chacun dans ses murs.
Rassurons-nous, le SNES a fait ses propositions dans l'USmag pour pallier à la disparition des expérimentations : Roland Hubert (cosecrétaire général) explique d'ailleurs les deux principes forts qui guident le SNES sur la « rupture » (et non liaison, tout est dit) CM2/Sixième :
«* l'unité du second degré : la moitié des élèves sont en Seconde à 16 ans ; nous combattons donc l'idée d'école du socle ; [Admirons le lien cause-conséquence]
* le respect des spécificités des ordres d'enseignement et de leurs cultures professionnelles légitimes »

Quant aux propositions concrètes du SNES, je vous laisse les chercher (j'en ai relevé trois, dont la plus forte est l'idée d'évoquer la possibilité d'envisager des projets communs). Le dossier n'est qu'un condensé de propos éternels contre le socle, le LPC, le maintien de l'existant et peut-être de l'antérieur, l'agitation de peurs ou d'inquiétudes qui peuvent être légitimes, mais qui ont une traduction concrète : le rejet systématique des propositions d'évolution, des expérimentations, le refus même d'en discuter le contenu alors que visiblement celui-ci peut être au final digne d'intérêt. Au nom des principes supérieurs édictés ci-dessus.

 Les liens :
 http://www.snes.fr/IMG/pdf/us_mag_supp_724_pdf_bd2.pdf
http://www.ac-nice.fr/pasi/articles.php?lng=fr&pg=147
http://www.refondonslecole.gouv.fr/wp-content/uploads/2012/09/contribution_socle_commun.pdf

jeudi 5 mai 2011

Les compétences sont-elles communicantes ?

Suite aux réunions avec Mr Raulin, le travail par compétences se prépare progressivement dans notre établissement.
Aujourd’hui, une collègue d’un collège voisin est venue nous présenter l'expérience d'une classe de 6e sans notes, à l’aide d’un diaporama conçu en début d’année à destination des familles.
Les motivations des collègues sont de réduire l’échec en détectant les points à remédier, d’éviter les discriminations et le découragement liés aux notes et par la mise en oeuvre de repères d’évaluation communs (les points Lomer). Une équipe pédagogique motivée a travaillé cet été pour établir la liste des points à évaluer (venant du socle et des programmes), de nouveaux modes d’évaluation, la remédiation. Un travail colossal dont la lourdeur a empêché la pleine réalisation et qui mènera à des adaptations l’an prochain. Par manque de temps, l'exposé s'est concentré sur les difficultés et les pièges à éviter mais nous attendons d'en savoir plus sur les réussites et les changements induits par cette nouvelle pratique.
Parmi les dispositifs créés dans ce collège, une fleur, dont chaque pétale indique le niveau de performance dans une discipline à l’issue d’un trimestre. Ce qui rappelle le diagramme circulaire de Pronote. En effet, grâce à une feuille de calcul excel, les points Lomer, pour chaque compétence, sont transformés en pourcentage de réussite. Un élève qui obtient ainsi 50% en mathématiques voit son pétale mathématiques colorié de moitié.
La nécessité de metttre un chiffre sur une performance scolaire est justifiée par la volonté de donner des repères clairs aux élèves, ainsi qu’aux familles qui apparemment étaient en attente. Dans les évolutions prévues d’ailleurs par les collègues figure le retour aux notes et aux moyennes, tout en conservant les compétences, soit un double système.
Cet exemple illustre bien la difficulté à passer d’un système de notes convenu et institutionnalisé à un système basé uniquement sur l’évaluation par compétence. Cette difficulté émane tant de la demande sociale que de celle des professeurs. Malgré les bonnes volontés affichées, les effets pervers de la notation ont pesé peu face à l’habitus scolaire.
Cet exemple met en exergue une question fondamentale dans la mise en oeuvre d’un tel projet : la communication des résultats aux familles et aux élèves.

Nous connaissons l’école primaire et les pages de compétences référencées par items avec les colonnes acquis/non acquis (livret scolaire) qui se superposent au palier 2 du socle commun. Au collège voisin, ce sont près de dix pages d’évaluation par compétences disciplinaires et transversales qui sont rendues aux familles. En fin de 3e, le livret par compétences n’échappe pas au même constat. Le problème de ces listes est qu’elles ne font pas émerger l’essentiel, en mettant sur un même plan des compétences (et pseudo-compétences) disparates dont on sait parfaitement qu’elles n’ont pas la même valeur scolaire.

Aussi peut-on s ‘interroger sur la façon de concevoir le travail par compétences et de communiquer les résultats scolaires par compétences ? Mission impossible ?


Voici une liste de conditions que nous pourrions suivre en cas de mise en oeuvre du travail par compétences en classe de 6e :
  • éviter la classe expérimentale. Comment réagiriez-vous si votre enfant était dans la seule classe évaluée différemment à l’entrée au collège ?
  • supprimer toute référence chiffrée. Celle-ci réduit toute analyse complexe à une question de niveau face à une norme prescrite.
  • éviter les longues listes et d’items et en conséquence hiérarchiser.
  • lister les objectifs à atteindre par un élève à la fin d’un niveau de classe.
  • formuler ces objectifs en compétences transversales larges, et placez le curseur sur un niveau d’exigence commun et minimum.
  • formuler des compétences restreintes en nombre par discipline, là aussi de manière assez large, ce qui n’empêche pas dans la pratique de la discipline les déclinaisons, (comme les items déclinent les domaines des compétences du socle...) ni les évolutions (changement de curseur, travail de nouvelles compétences).
Ainsi un bulletin peut s’abstenir de communiquer toutes les déclinaisons évaluées ou mises en oeuvre dans le trimestre, mais doit se concentrer sur les objectifs transversaux et disciplinaires. Ce mode serait ainsi plus riche, plus juste et plus complexe et moins réducteur que des moyennes, tout en se concentrant sur les progrès réalisés.

Un bulletin trimestriel pourrait ainsi contenir :

  • un bilan commenté des compétences transversales
  • un bilan par matières, sans mention d’un niveau général, mais pointant les progrès et les points à améliorer.
  • Un rappel des évaluations interdisciplinaires par tâche complexe est aussi envisageable si elle n’alourdit pas inutilement le bulletin.
Pour conclure, il semble essentiel de mettre en place un langage commun entre les familles, les élèves et l’institution, afin d’accompagner au mieux la scolarité des élèves. Pour les enseignants, ce langage commun amène aussi à considérer la place de sa discipline (dans les contenus, les modes d’enseignement) au sein de l’ensemble du curriculum et de mettre en place un enseignement qui intègre des objectifs éducatifs partagés et donc un regard partagé sur tous les apprentissages, ce qui n'est pas la moindre des tâches...

dimanche 27 février 2011

Comment évaluer le socle commun au collège ? Trois scenarii, du probable au réalisable

La mise en œuvre du socle est semée de pièges qui pourraient dénaturer l’esprit du travail par compétences, même à travers les meilleures intentions des acteurs. Voici trois scenarii possibles d’application du socle qui tentent de déminer le terrain en identifiant ces pièges, afin de ne pas sombrer dans l’usine à cases, l’ « évaluationnite » ou le rejet d’une impossible évaluation par compétences.

l'OCNI (objet commun non identifié)

 

Certainement le scenario actuel dans la plupart des collèges, par manque de temps de concertation, de formation et dans l'obligation d'évaluer le socle (palier 3 pour les élèves de 3e) à la fin de cette année scolaire. La précipitation entraînée se confondra avec une improvisation quasi-parfaite. Le socle sera validé – ou pas - alors que le travail par compétences n'est pas amorcé. Des dispositifs émergeront pour parer au plus pressé. Ainsi dans notre établissement, les conseils de classe du 2e trimestre, en 4e et 3e, seront ainsi précédés d'une première réunion de « conseil de compétences ». Les professeurs sont invités à valider dans Pronote les items (le logiciel de gestion d'établissement). Que ressortira-t-il de ces conseils de compétences ?
Ailleurs, peut-être qu'aucun temps de concertation n'a même été pensé pour réfléchir à l'application du socle commun, tout au mieux une réunion plénière, un conseil pédagogique, pour que les disciplines se partagent le gâteau des items du socle.
Ce mode d'évaluation improvisé reposera sur la motivation d'une équipe d'enseignants, sur le temps accordé par les chefs d'établissements pour réfléchir et s'emparer des outils. Les bonnes volontés s'effriteront vite face à la surcharge de travail induite, aux résistances passives ou actives (de collègues, des messages contradictoires ou reçus comme tel de l'inspection, de l'incompréhension des élèves...), à l'impossibilité finale de concevoir le travail par compétences et l'évaluation du socle comme un tout cohérent.
Le maintien d'une improvisation – sans formation digne de ce nom, sans temps de travail commun dans l'établissement entre collègues – provoquera des malentendus autour du socle, perçu comme un OCNI source de conflits et d'accroissement inutile des missions des professeurs.

La transposition disciplinaire  

 

Une évolution et un scenario probables sont de voir les équipes prendre en main ce socle avec conscience – après tout l'idée est généreuse - avec le fameux partage du gâteau du socle : au Français le pilier 1, aux Mathématiques le pilier 3, à l'Histoire-Géo le pilier 5 (grosso modo, inutile de poster un message pour contester ce découpage, ce n'est qu'un exemple et pas une atteinte à telle ou telle identité disciplinaire !).
Une des remarques fréquemment entendues – et que j'ai  dû prononcer à de nombreuses reprises – est qu'on ne peut évaluer ce socle sans un outil informatique fiable. Le ressort de cette idée est qu'il faut garder une trace de toutes nos évaluations où rentreront les items du socle et que l'outil informatique, comme le logiciel gestionnaire de notes, simplifiera la mise en relation des évaluations et au final la validation – ou non – du socle. Ces logiciels existent et essaiment actuellement (mais ce n'est pas le sujet de notre billet). Gardons en tête que la puissance de l'informatique est désormais au service de l'évaluation du socle. La prise en main pleine et complète du socle passera donc, et tout le monde en est convaincu, par un système informatisé.  Les enseignants transformeront leurs évaluations traditionnelles en évaluations par compétences, sans doute avec un système mixte (notes et compétences). En plus des notes et des commentaires de fin de trimestre, ils complèteront régulièrement les compétences évaluées. Un système comme Pronote propose déjà des modes d'évaluation non binaires, avec des degrés d'acquisition, qui se visualisent avec un système de couleurs. Lors des conseils de classe (ou de compétences...), la somme des activités traitant d'un item sera visualisée grâce au bilan du logiciel, et peut-être qu'un seuil de réussite fixé par l'équipe pédagogique – ou je ne sais qui – traduira la validation – ou non – dudit item !
Ce travail sera extrêmement chronophage et faussement rationnel. Il maintient chaque enseignement à distance du champ disciplinaire voisin, et encore plus d'une vision globale des apprentissages des élèves. Ce système est la parfaite transposition du système actuel (disciplines – notes – conseil). On pourra évoquer en conseil de classe la maîtrise « satisfaisante » d'un élève qui obtient 74% de réussite les items du domaine écrire de la compétence 1. Cette réussite apparaîtra visuellement par une dominante verte dans le bilan des évaluations, à peine pondérée par quelques traces d'orange et une évaluation rouge, mais le professeur d'Histoire précisera qu'il s'agissait sans doute d'un hors sujet sur un paragraphe argumenté, et que de toute façon le collègue de Français est plus apte à juger. Le risque est donc de tronquer l'évaluation par compétences par une discussion sur les pourcentages de réussite des items, déconnectée des objectifs et des situations d'apprentissage.

D'une manière plus perverse, ce système cumulatif, déterminé par un seuil chiffré arbitraire, pourra-t-il invalider une compétence pourtant maîtrisée par un élève, mais évaluée selon des critères inadéquats, non pondérés, non partagés. Ainsi, qu'attend-on des élèves face à l'item : « Savoir s’autoévaluer et être capable de décrire ses intérêts, ses compétences et ses acquis » ? Un élève qui collectionne les mauvaises notes et en a parfaitement conscience sait-il s'auto-évaluer ? Quelle valeur aura une série d'évaluation sur cet item ? On imagine les motifs multiples de fâcheries ou d'incompréhensions entre collègues sur la validation des items.
En voulant prendre en charge l'usine à cases, le risque est fort, sous prétexte de rationalité informatisée, d'éclater l'idée du socle dans une évaluationnite aigüe.

Une évaluation intégrée

 

De fait, la mise en place du socle ne peut faire l'économie de la mise à plat du contenu et des exigences, du travail et de l'évaluation par compétences.

Plutôt que de consacrer  (ou perdre...) autant de temps à discuter et sur l'évaluation par compétences a posteriori, il s'agit de consacrer le temps des équipes à préparer le travail et l'évaluation des compétences a priori : tâches complexes, remédiations, exigences et progression des apprentissages. 
Outre les productions écrites sommatives, surévaluées dans notre système scolaire, les évaluations pourront comporter une dimension formative plus affirmée, et développer l'oral et les productions personnelles (portfolio).
Dans notre collège, suite à leur semaine de stage en entreprises, les élèves de 3e préparent et présentent leur compte-rendu lors d'un oral d'une dizaine de minutes, face à un jury. Nous évaluons la maîtrise d'une dizaine d'items du socle dont tous les items du domaine « dire », compétence 1 et d'autres items spécifiques de l'orientation, du monde de l'entreprise, dans la compétence 7. Ces items ont été sélectionnés en conseil pédagogique et sont validés ou non par décision collégiale à l'issue de l'oral, sur des exigences communes.  Pour les élèves qui n'ont pas validé un item, nous leur formulons un conseil pour progresser et y parvenir. Les élèves de 3e passeront également un deuxième oral obligatoire, celui de l'épreuve d'histoire des arts, où nous renouvellerons l'évaluation par compétences et un certain nombre d'items déjà évalués.
Cet exemple montre qu'en plus des heures de cours ordinaires, on peut se saisir de dispositifs institutionnels pour évaluer le socle, ici in fine, en classe de 3e. Cet exemple pose aussi des questions : que faire quand un élève n'a pas validé tel item ou tel domaine ? Peut-on se satisfaire de productions moyennes et perfectibles ? Dans notre cas, le jury a pu être plus exigeant sur des items en considérant qu'ils pouvaient encore être retravaillés ou évalués dans l'année. Mais au fond, nous nous rendons compte que pour formuler des exigences vis-à-vis du socle, nous devons parallèlement avoir travaillé par compétences, pour que cette évaluation de 3e soit conçue comme un aboutissement qui ait du sens, et non comme une grille plaquée sur une tâche complexe, l'oral de stage en entreprises.
Néanmoins, l'évaluation collégiale, préparée en amont, présente-t-elle ici des avantages indéniables : elle fixe clairement le niveau d'exigence des compétences, elle harmonise son évaluation. Valide-t-elle une fois pour toutes ? C'est un débat que nous avons.
Prenons l'item du dire « Adapter sa prise de parole à la situation de communication ». Le jury valide la production d'un élève, et au moment du conseil, le bilan de Pronote nous affiche un pourcentage de 56%, mêlant des évaluations très diverses en Français, Histoire-Géographie, SVT et Technologie par exemple. On débouche de nouveau sur une situation conflictuelle, ou pas, si des procédures arbitraires ne viennent pas simplifier la décision : le prof de Français tranche (car c'est la compétence 1), on s'en tient au seuil de réussite fixé (70% ou autre), on vote, le chef d'établissement tranche... On pourrait m'objecter un point positif, le fait que le conseil en vienne à débattre des compétences des élèves, mais on ne peut envisager un tel système comme étant viable, sauf à consacrer une journée à chaque conseil de classe de 3e.

L'évaluation intégrée doit donc être pensée globalement, de la 6e à la 3e, en terme de travail par compétence, de progression, d'évaluations qui font sens et consensus. Ces tâches complexes doivent être élaborées par les équipes disciplinaires et croisées avec les autres disciplines. Elles doivent s'inscrire harmonieusement dans le parcours scolaire des élèves, dans l'enseignement des disciplines. (je n'invente rien que ce qui peut être développé sur ce document officiel : repères pour la mise en oeuvre du LPC). Plutôt que de se partager le gâteau des items et laisser chaque professeur « responsable » d'un corpus d'item, les équipes pédagogiques devraient fixer les exigences, les progressions envisageables selon les cycles, et fixer les moments de validation en relation avec les programmes. Cette méthode deviendrait ainsi structurante et partagée. Loin d'êtres révolutionnaires dans nos pratiques, des dispositifs interdisciplinaires ou transversaux traversent déjà en pointillé le collège : histoire des arts, semaine d'orientation, les IDD classés en différents thèmes. Sachant qu'il ne peut y avoir de retour en arrière, les équipes penseront la remédiation nécessaire face aux échecs. Les tâches complexes seront variées et on évitera la dérive de l'évaluation item par item (un contrôle, un item). Il semble opportun de tenter une validation assez large à l'issue du cycle central (5e-4e) afin de libérer l'année de 3e assez chargée.

Cette évaluation intégrée des compétences doit permettre de :
·         mobiliser les équipes et les élèves autour de situations d'apprentissage riches et complexes, porteuses de sens
·         Parer à la dérive d'une logique de découpages disciplinaires du socle et des items d'évaluation
·         ne pas réduire le socle à l'évaluation binaire du LPC, à l'usine à cases
·         prendre le socle comme un outil au service du travail et des apprentissages
·         d'utiliser les outils de validation informatique avec mesure, dans une logique qui ne ramène pas les compétences à des sommes de travaux disparates, moyennées en pourcentage de réussite.

Pour conclure, l'application du socle peut être l'occasion de redonner du souffle au collège, plus de sens aux apprentissages trop cloisonnés, sans remettre en cause son organisation générale. Il peut amener à changer de regard, non pas tant sur les élèves, mais sur leur travail et leurs aptitudes, en énonçant clairement quelles sont leurs compétences acquises. C'est aussi une façon de certifier les apprentissages en mode positif et progressif, et non pas en référence négative constante à une norme chiffrée prescrite (le 20/20), qui n'énonce pas les acquis des élèves.

mercredi 16 février 2011

Notes et compétences, quelle équation ?

C'est une question qui agite la salle des profs, à l'heure de la mise en oeuvre du socle commun. 

J'émets l'hypothèse de l'incompatibilité. La note sur 20 permet, à travers l'exemple de la dictée, de sanctionner les fautes. On peut rétorquer que dans les multiples évaluations notées, les points sont comptés en positif : on pointe les réussites des élèves par un point, qu'on pourra d'ailleurs décliner jusqu'au quart de point selon le degré d'approximation de la formulation de l'élève. Retirer un demi ou un quart de point sur une question permet de signifier à l'élève que sa réponse n'est pas parfaite, mais qu'elle comprend tout de même un élément de réponse positif. Mais au final il restera encore une soustraction, celle qui sépare le 12 du 20, ces 8 points non acquis. Que dit cet écart ? C'est le fossé entre le réel et le prescrit. La norme curriculaire n'est pas le 10/20, mais le 20/20. Nous positionnons en permanence l'élève devant une norme parfaite et prescrite, issue du programme, face à laquelle se construit une autre "norme", la moyenne de la classe, correspondant au "réel" de la classe.
Si l'on se penche sur les moyennes (obtenues par de savants calculs coefficientés), ce "réel" est biaisé. Que l'on fréquente un établissement de centre-ville ou de ZEP, avoir 16 de moyenne générale n'a pas la même valeur. Les effets de la constante macabre montrent aussi la répartition implicite qui s'opère dans le classement des élèves. De la 6e à la 3e, on observe enfin une lente et perceptible baisse de la moyenne de classe, "parce que le niveau augmente" ! Tout ceci semblant presque "naturel". D'ailleurs, si le professeur d'Histoire-Géographie rend une moyenne de classe de 6 ou de 18/20, les collègues, les élèves, la direction et les parents s'interrogent sur l'écart avec la norme (qui serait entre 10 et 13/20 selon les établissements et les niveaux de classe).
Ces constantes s'expliquent par des mécanismes protecteurs de la part du professeur, obnubilés tant par la réussite des élèves, que par la moyenne que l'on présente en conseil de classe. Qui ne s'est pas fendu parmi nous d'un devoir de rattrapage pour sauver la moyenne d'un élève ou d'une classe ? Rendre une moyenne comprise dans la norme, c'est sauver l'essentiel, ce que certains nomment la "paix sociale", qui contrairement à ce que l'on croit, ne correspond pas aux supers moyennes des professeurs "démagogiques", puisque cet attribut péjoratif vient donc d'un écart à la norme réelle. Personne ne croit qu'un professeur soit suffisamment génial pour se rapprocher autant de la norme prescrite.
La moyenne d'un élève n'a de valeur que mise en rapport aux autres élèves de la classe. Elle permet de situer l'élève par rapport aux autres, et la moyenne de classe de situer celle-ci par rapport aux autres. Les logiciels de gestion de classe comme Pronote nous fournissent des visualisations graphiques de ces moyennes qui permettent un jugement instantané, simplifiant l'analyse du bilan trimestriel des élèves. Ce système est institué. 

La norme "réelle" instituée est en soit un renoncement. En poussant l'analyse, elle évalue indirectement la mise en oeuvre du programme de l'enseignant par l'écart plus ou moins important de la moyenne avec la norme prescrite, dont tout le monde aura compris qu'elle constitue un horizon inaccessible.

Ce système pervertit les apprentissages, notre coeur de métier. D'une part, la norme "réelle" issue des moyennes générales dit peu des apprentissages. Elle permet de caractériser un niveau général, des points forts et des points faibles par matière, de sanctionner un manque de travail associé à un comportement ou de féliciter les élèves qui se rapprochent le plus de la norme prescrite. Voici peu ou prou le rôle d'un conseil de classe, avec en sus la gestion de l'orientation de l'élève. D'autre part le système maintient les élèves sous une pression constante de résultats positifs, qui provoquent l'adhésion, de la motivation, de l'envie de réussir mais aussi et de plus en plus de la démotivation face à la constance des mauvaises notes, de la résignation voire du rejet total et violent. Ainsi un élève peut-il traverser les quatre années de collège avec 8 de moyenne générale. Et pourtant comment ne pas considérer que l'élève n'a pas progressé ou acquis de compétences dans l'intervalle ? Que penser des effets d'un tel commentaire pourtant bienveillant :  " Kevin a fait des efforts ce trimestre mais l'ensemble reste insuffisant. Il faut s'accrocher et fournir des efforts supplémentaires" ?

La logique du socle commun et du travail par compétences est d'un autre ordre paradigmique, qui efface une partie des effets pervers de système de notation. Sans prétendre résoudre à elle seule tous les problèmes scolaires des élèves (voir les compte-rendus des conférences de Dominique Raullin présentées sur ce blogue).
Aussi la double-évaluation est-elle, dans le cadre du système institué, à éviter. La double-évaluation plaquerait inévitablement les effets pervers de la notation sur un système qui doit valoriser les progrès et nommer les compétences à travailler, tout en fixant un horizon accessible et balisé. Elle introduirait subrepticement la logique du renoncement en s'inscrivant dans le jeu tronqué des normes prescrites et réelles

lundi 14 février 2011

L'OCDE, le livret de compétences, 1984

Si vous êtes enseignants, qui plus est au collège, vous aurez difficilement échappé à ce diaporama émanant du CNRBE (le Comité National de Retrait de la Base Elèves) :

Le discours dénonce au moins deux faits dans le mise en oeuvre du socle commun de compétences :
1. un fichage généralisé des élèves via le livret personnel de compétences (LPC) qui suivra les élèves à vie, comme une marque indélébile de la réussite ou de l'échec scolaire.
2. la volonté de fournir des masses d'ouvriers serviables pour le patronat.

Qui est à l'origine de ce monstrueux projet ? L'Europe, l'OCDE, et leur valet servant, l'"Etat français" (référence pétainiste), dont le Parlement a adopté la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école en 2005, dont le LPC (Livret Personnel de Compétences) est l'outil informatique d'évaluation, dont le palier 2 intervient en fin de primaire, et le palier 3 en fin de collège.

Comment ne pas être outré par les faits soulevés par le CNRBE ? Les arguments et la démonstration sont implacables... mais fallacieux.

Le retour du livret ouvrier !
Rien que cela avec la référence aux régimes autoritaires des Napoléon qui ont introduit ce livret en France (n'oublions pas les ersatz soviétiques et chinois...). Peut-on objecter que leurs objectifs (contrôler la classe ouvrière, évaluer des compétences), leurs contenus et leurs usages sont aussi dissemblables que leurs époques respectives ?
On peut aussi s'interroger d'ailleurs sur le poids de la classe ouvrière aujourd'hui dans une société post-industrielle. D'un côté le néo-libéralisme désindustrialise la France, de l'autre il prépare les futures classes ouvrières dociles et serviables... pour quels emplois ?

La question des compétences
Les concepteurs du livret de compétences, "pire que le livret ouvrier", sont nommés : L'OCDE avec la Commission européenne. Dans la diapositive 4, on lit :
"la Commission européenne a fait une liste des 8 compétences clés, censées assurer la capacité d'adaptation, la flexibilité et la mobilité des futurs travailleurs". Pourtant, sur le site de la Commission, voici ce que nous pouvons lire : "Le cadre européen des compétences clés pour l'éducation et la formation tout au long de la vie, publié à la fin de l'année 2006, identifie et définit les compétences clés dont chaque personne a besoin pour obtenir un emploi et parvenir à la satisfaction personnelle, à l'inclusion sociale et à la citoyenneté active dans le monde actuel axé sur la connaissance." Le diaporama parle d' "économie de la connaissances" quand la Commission Européenne parle de "société de la connaissances". La présentation faite des compétences par le CNRBE est une interprétation du socle. Voici le cadre de référence ciblant les compétences-clés édicté par la Commission. C'est un pdf un peu long, mais l'introduction permet d'emblée de dissiper tout malentendu sur une vision uniquement utilitariste du socle, puisque l'épanouissement personnel et la capacité à s'intégrer à la société sont mis sur le même plan que l'accès au monde du travail.
Dans l'argumentaire anti-socle, on retrouve systématiquement ces assertions anti-OCDE et anti-Commission. Je renvoie concernent l'usage de la pensée de l'OCDE faite par les polémistes, à la lecture d'un billet de blogue de Luc Cédelle.

Menace sur les libertés individuelles
Face au grand fichage généralisé qui se prépare," la CNIL n'a pas protégé les citoyens". D'ailleurs, "n'est-elle pas dépassée ?" On se souvient de l'indignation soulevée par l'introduction de "Base élèves", à l'origine de la création du CNRBE. Le combat se poursuit aujourd'hui avec le LPC. On comprend mieux pourquoi la CNIL est selon eux dépassé en se rendant sur le site de la CNIL, qui a clarifié en septembre 2010 sa position sur "Base élèves". Que lit-on ?

"On entend souvent que la "Base élèves" serait un fichier national des élèves des écoles maternelles et primaires. Ce n'est pas le cas : la "Base élèves" est une architecture informatique développée par le ministère de l'Éducation nationale organisée à trois niveaux :

  • un premier fichier au niveau de l'école,
  • un second au niveau de l'inspection académique,
  • le troisième, exclusivement statistique, donc anonyme, au niveau du ministère de l'Éducation nationale.
Chaque directeur d'école gère donc un fichier dont les caractéristiques ont été définies par le ministère. C'est le directeur de l'école qui recueille les informations lors de l'inscription de l'enfant."

Mais encore :
"La liste des données enregistrées dans l’application se limite à des données d’identification des élèves, de leurs responsables légaux et des autres personnes à contacter en cas d’urgence ou autorisées à prendre en charge l’élève à la sortie de l’école. Elle comporte également des informations relatives à la scolarité des élèves (dates d’inscription, d’admission et de radiation, classe, niveau, cycle) et aux activités périscolaires (garderie, études surveillées, restaurant et transport scolaires).

Contrairement à ce qui est parfois affirmé, la « Base élèves » ne comporte plus aucune information sur la nationalité, la date d'arrivée en France de l'élève ainsi que la langue parlée à la maison.
De la même façon, elle ne comporte aucune information de type médical (comme le suivi psychologique ou psychiatrique ) ou encore relative à l’origine ethnique des élèves.
Enfin, les notes de l'élève ne sont pas enregistrées."
Il est en outre précisé que les parents ont un droit d'accès aux informations et un droit d'opposition qui a été accordé par le Conseil d'Etat, un organe, comme son nom l'indique, de l'Etat. Contradictoire ? La protection des libertés individuelles serait-elle aussi menacée que cela ?

S'il est nécessaire d'éclairer les risques des usages informatiques actuels et des menaces qu'ils font peser sur les libertés individuelles, pourquoi ne pas se contenter de poser la question et d'énoncer un doute ? "Nous nous inquiétons, dans la mise en oeuvre du livret de compétences, de la menace sur les libertés individuelles et sur l'usage potentiel des informations collectées concernant le parcours scolaire des élèves, et nous demandons des garanties solides au ministère, en en référant à la CNIL et au Conseil d'Etat".
Non, ici, c'est un projet idéologique fictif (le livret ouvrier) qui est ciblé par une idéologie libertaire. Le combat est plus large, plus global, il est tout autant politique et idéologique que le néolibéralisme dénoncé.


Contresens pédagogiques
Mis en oeuvre pour lutter contre l'échec scolaire, dont l'ampleur (près de 150.000 jeunes sortent tous les ans du système scolaire sans qualification) devrait être le vrai scandale, le socle et son livret sont un outil important du changement. Ce changement est critiquable : dans le cadre actuel des réductions drastiques de postes, comment envisager sereinement un changement de paradigme pédagogique, alors que les missions des professeurs ne cessent de s'empiler ? Pour de nombreux acteurs politiques et éducatifs, pour de nombreux enseignants, ce changement est nécessaire et même urgent au collège (pour des raisons et avec des idées développées sur ce blog et ailleurs).

Premier contresens : l'ambition du socle. Elle n'est pas tant de différencier des niveaux d'acquisition entre les élèves, et donc de créer du tri (ça, les notes le font déjà très bien) que de s'assurer d'un niveau minimum à atteindre pour tous les élèves. A l'opposé des bulletins scolaires actuels qui collectionnent les moyennes, les appréciations, et qui servent à orienter les élèves. Le socle commun aura peu de valeur pour distinguer les élèves, son ambition étant de "relever le plancher".

Deuxième contresens : la dimension comportementale. "Le livret de compétences contient des informations scolaires, sociales et comportementales." Les compétences servent à former des ouvriers flexibles et dociles, à conditionner les élèves au monde du travail. Cette idée ne tient que dans les discours des opposants au socle. La pédagogie par compétences n'est pas un renoncement aux savoirs, au contraire, ni une machine à fabriquer du consentement. Les pédagogues qui utilisent l'approche par compétences ont un souci constant : former les élèves à l'autonomie et développer l'esprit critique. Il convient ici de fortement distinguer l'évaluation par compétences à la mode du socle (un livret de certification) en effet binaire et peu pertinente in fine, du travail par compétences, qui pose la question essentielle : comment s'assurer que l'élève maîtrise telle compétence et connaissance, comment le faire progresser ?
Les compétences 6 et 7 comprennent en effet quelques items basés sur le comportement de l'élève, très peu nombreux si on les compare à l'ensemble, et bien moins dangereux que la note de vie scolaire ou que les appréciations de comportement dans les bulletins, assortis des divers grades de sanction. En tout cas, ils en disent beaucoup moins que les dossiers scolaires actuels sur leurs échecs.

Troisième contresens : la question de l'orientation. Page 8 : "chaque enfant et chaque jeune sera contrôle, orienté, trié automatiquement selon des critères opaques et incontrôlables"
Prise hors contexte, seul le futur employé dans cette phrase nous permet de faire la distinction avec la situation actuelle ! Regardons un peu ce qui émerge du conseil de classe, où tel élève ne pourrait passer en seconde avec moins de 8 de moyenne en Maths ou en Français, où tel élève est bon parce qu'il a 14, moyen parce qu'il a 10 (c'est la moyenne, on aura compris) et sans les débats de salle des profs pour savoir si "niveau convenable" est plus ou moins que "niveau correct" dans une appréciation générale ! 
Concernant la formation des élèves, en fouillant un peu sur le site de l'OCDE, et dans l'esprit d'une Europe compétitive dans une économie mondialisée, il apparaît vite en effet qu'il y a un gros besoin de main-d'oeuvre... forte et qualifiée ! 
De plus, si l'Etat collectionne les données sur les compétences, les vendra-t-elle aux entreprises pour en savoir plus sur son futur employé ? Tout est-il déjà écrit ? Dans une société numérique, il est plus à parier que les employeurs trouveront plus d'informations personnelles sur des réseaux sociaux type Facebook ou Linked-In (où  les internautes maîtrisent leur curriculum, le CV n'est pas mort, il s'enrichit avec le numérique) que dans une base gérée par un Etat, et quoiqu'on puisse lire sur ce diaporama, soumise au droit. Si c'est à la lueur de "Base élèves", on mesure l'écart entre le discours fictif du diaporama et la situation présentée par la CNIL.

La CNRBE anticipe un monde Orwellien, effrayant en effet, empruntant son champ lexical et ses images à l'univers concentrationnaire (code-barres, traçabilité, matricule...), agitant les peurs aux moyens d'arguments fallacieux, niant les problèmes de l'école d'aujourd'hui, usant d'amalgames répétés, où le numérique est l'instrument du mal, s'attaquant à un ennemi à qui on fait dire ce qu'il ne dit pas, ce qui réduit la portée de questions pourtant pertinentes sur l'usage des données personnelles à une caricature de discours libertaire.

lundi 31 janvier 2011

A quoi sert Twitter professionnellement ?

Aujourd'hui, j'ai animé un stage centré sur l'enseignement de l'Histoire-Géographie avec le Web 2.0. Parmi les outils présentés, Twitter ! J'ai posté un tweet vers 11H demandant à ma TL dévouée quels étaient leurs usages professionnels de Twitter.
Voici leurs réponses :



Merci à tous !

Concernant la veille, je rajouterai que Twitter permet de centraliser et de classer/archiver l'information professionnelle grâce aux synchronisations automatiques de mon compte Twitter avec Diigo et Pearltrees, services bien pratiques pour ne rien perdre des sites partagés.
D'autres outils existent pour le "réseautage social professionnel" et les choisir, c'est comme les goûts et les couleurs... (ce qu'explique très bien ma copine Caroline Jouneau-Sion). 
Ce qui compte le plus pour moi, c'est de pouvoir fédérer des énergies et des inspirations diverses, pour trouver un soir en urgence le document introuvable que l'on souhaite intégrer à son cours, de créer des diaporamas collaboratifs qui parle de pédagogie et des Tice, de s'échanger des cours comme des recettes de cuisine, de participer à un méga APR (Atelier de Pratique Réflexive, un héritage de formation initiale digne de ce nom à l'IUFM) et les soirs de "détresse" de lancer un #kamoulox qui glisse en #kamousocle. 
Parmi les "slogans" qui traînent sur Twitter ces derniers temps, j'aime beaucoup celui-là : "Facebook vous fait détester des gens que vous connaissiez alors que Twitter vous fait aimer des gens que vous ne connaissez pas !". Un brin caricatural, mais Twitter pour moi, c'est au moins une quinzaine de personnes rencontrées IRL en 2010 (in real life) sur des colloques, festivals, ou dans un café. Un réseau professionnel certes, mais vraiment vraiment vraiment social !

Le 7 février 2011 : complément à l'article

Gérard Marquié (@gmarquie) vient de réaliser une présentation très pertinentes des usages professionnels des réseaux sociaux et de Twitter en particulier. Merci à lui !



samedi 22 janvier 2011

A quoi cela sert d'étudier une pièce de Molière aujourd'hui ? De la mise en oeuvre du socle commun

Vendredi après-midi, le collège a fait une pause "structurante" avec la venue de Dominique Raulin, didacticien des Mathématiques, qui a contribué à la mise en oeuvre de nombreux programmes scolaires, et qui dirige actuellement le CRDP d'Orléans.
Au programme, la mise en oeuvre du socle commun et les changements pédagogiques qu'il introduit. Cette intervention fait suite à une première conférence de Dominique Raulin dont j'avais rendu compte dans un billet long et commenté sur ce même espace : "Enseignants, vous ne tiendrez pas longtemps dans une optique de transmission de connaissances".
J'ai de nouveau choisi de reprendre une phrase en aparté de l'auteur pour titre de ce billet, non pas tant qu'elle résumerait sa pensée - car c'est une question que lui a posée un élève - mais pour sa part de provocation qui nous interpelle sur le sens des apprentissages scolaires.

Voici des notes qui reprennent le contenu de son intervention, suivies par un petit bilan de la mise en oeuvre du socle dans notre établissement :


Le socle commun
Rappel de la définition "officielle" de la compétence, combinant connaissances, capacités et attitudes.
Le débat compétences vs connaissances est clos. Il est désormais clair qu'il faut développer les deux. Notre métier, c'est d'articuler connaissances, attitudes et capacités au sein de nos enseignements. La prise en charge des capacités est la seule nouveauté. Les capacités sont toutes rédigées à partir d'un verbe. Pour Dominique Raulin (DR), les attitudes sont sans doute la bonne réponse à la question du sens : « à quoi ça sert ? » Par exemple, un élève qui demande « A quoi cela sert d'étudier une pièce de Molière aujourd'hui ? » Avantage : faire sortir le socle d'une stricte logique des savoirs scolaires.

Les changements dans les contenus d'enseignement
A la suite du socle commun, les programmes sont en train d'évoluer de façon fondamentale :
  • par une inversion de l'importance respective donnée aux capacités et aux connaissances
  • par l'affirmation d'une vision globale de la formation : la complémentarité des apports disciplinaires
    C'est sans soute une évolution irrémédiable.
DR évoque la logique de production de nouveaux programmes scolaires, en montrant comment se sont constitués les programmes d'histoire, avec un groupe d'experts composé d'universiatires, d'IPR, de collègues. Avec le socle commun, on échappe à la logique des disciplines par une vision globale. Ensuite, on s'interroge sur la place des disciplines dans l'acquisition de ces compétences. C'est une nouveauté et cette démarche est plus logique. On envisage d'abord le global (le socle) au lieu d'agglomérer la somme des connaissances disciplinaires.
Le problème n'est pas un problème idéologique (connaissances contre compétences). Il n'y aucun critère absolu dans le choix des contenus d'enseignement (exemple de l'introduction de la littérature jeunesse en Français face à la littérature classique). De plus, il n'y a plus besoin strictement de l'école pour accéder aux connaissances, notamment par le média Internet (ce qui n'est pas sans poser de problème). Notre priorité ne peut plus être la simple transmission de connaissances. Les candidats au bac se ruent sur Internet. « Aller sur Internet pour apprendre une compétence, j'aimerais bien voir ». Le système doit donc former à l'acquisition des compétences.

Les implications pédagogiques


Le risque : tout focaliser sur l'évaluation
Notre mission est d'enseigner et non pas uniquement de préparer l'examen. L'absence d'objectifs identifiés dans les programmes amène à s'interroger sur le rôle des professeurs. DR liste des dérives possibles dans la mise en oeuvre du socle : 
  • Un item = au moins un contrôle écrit
  • l'évaluationnite « aiguë ». Egarement connu par la pédagogie par objectifs, mis en place dans l'enseignement professionnel dans les 1970's.
  • l'émiettement, les travaux mono-objectifs. Ce qui se fait trop dans l'enseignement primaire. Beaucoup de ces travaux n'ont aucun sens. L'objectivité apparente est rassurante.
  • la marginalisation des questions d'apprentissages est due aux trois premiers points ci-dessus.
Etre pédagogue, c'est guider l'enfant dans les apprentissages et non les évaluer constamment. Le coeur du métier, ce sont les apprentissages, le plaisir de faire comprendre et de transmettre. On ne veut pas passer notre temps à évaluer. A force de focaliser sur les évaluations, on néglige les questions d'apprentissages.

La question primordiale est celle des apprentissages : l'évaluation doit être intégrée à la réflexion sur les apprentissages et non pas être le centre des préoccupations.

Une réalité
Ce ne sont pas les premiers changements de programmes ou de contenus d'enseignement.

Une évidence
On n'enseigne pas une capacité comme on apporte une connaissance, on permet de la développer.
La métaphore du maître nageur est reprise (voir l'article précédemment cité). Pour l'apprentissage de la lecture, c'est pareil : l'élève doit accepter d'entrer dans le piscine de la lecture. Plus on monte dans les niveaux de scolarité, moins on leur demande de faire. Il faut être le plus possible dans la position du maître-nageur ! Notre métier est l'aptitude à développer les compétences des élèves, pour acquérir des connaissances. On doit inventer les protocoles d'apprentissage.
On ne fait pas / on ne peut pas faire à la place de l'élève. C'est l'effet Topaze, conté par Pagnol (dictée en prononçant les -s pour que les élèves le notent). Les professeurs sont souvent dans l'effet Topaze (hussard de la République). Parfois, on donne trop de béquilles au lieu de donner une consigne plus globale.

Une autre évidence...
  • Une connaissance se rattache assez naturellement à un champ identifiable, à une discipline scolaire.
  • Une capacité ne relève pas d'une seule discipline : son développement passe par la complémentarité des approches disciplinaires. DR affirme que le recouvrement des compétences sur telle ou telle discipline n'a pas de fondement épistémologique.
La transformation en cours n'est pas une remise en cause des identités disciplinaires

Des banalités...
  • un élève ne peut faire quelque chose qu'à partir de ce qu'il sait faire
  • pour mettre un élève au travail, il faut savoir ce qu'il sait faire. L'évaluation sert à cela, afin de réguler nos apprentissages.
  • Il faut donc renoncer au principe de la table rase qui fait que seuls ne valent que les apprentissages menés à l'Ecole. Nous ne sommes pas les seuls à savoir faire apprendre. L'école n'est pas le seul lieu, pas le seul vecteur.
Il est nécessaire de recourir à une pratique de positionnement.

Une pratique analytique de l'évaluation est nécessaire
  • elle est fondée sur l'observation des élèves (qui travaillent) : elle est subjective. L'entente avec le professeur par exemple semble être un critère fondamental...c'est subjectif et même affectif. L'idée de l'objectivité totale en classe est fausse.
    Une procédure en trois étapes :
  • le repérage des symptômes; leur fréquence
  • l'analyse des symptômes : en amont, la recherche des causes; en aval, les conséquences sur les apprentissages ultérieurs. Le diagnostic. Il faut se méfier des normes, comme considérer qu'un élève de CE1 qui ne maîtrise pas les additions est un élève en échec. De plus on noye les élèves sous les connaissances, en négligeant la structure. Nos programmes manquent de ces éléments structurants.
  • La nouvelle activité : le traitement
DR se méfie du terme d'évaluation-diagnostic car c'est le professeur qui fait le diagnostic (même divergence entre le thermomètre et l'analyse du médecin).
Cette démarche symptômes -diagnostic-traitement est une révolution.

Fin de l'intervention magistrale

Dans une deuxième partie, les équipes pédagogiques du collège ont réfléchi à la mise en oeuvre d'un enseignement par compétences ainsi que sur la communication autour du socle pour les familles et pour les élèves. 
Concernant le travail par compétences, après les éclaircissements de Dominique Raulin, nous nous sommes demandés quoi faire : par quel bout prendre ce socle commun ? Par le livret (LPC) à valider en fin de 3e, dont nous répartitions les items ? Cette démarche ne nous a semblé ni intéressante ni productive. Nous avons pris la question du socle à l'envers, ou devrais-je dire dans le bon sens, en tentant de répondre à une question : qu'attendons-nous d'un élève en fin de 6e ? Chaque collègue a réfléchi et listé, seul ou en équipe, trois compétences disciplinaires importantes, ainsi que trois compétences générales, transversales, qu'un élève doit maîtriser en fin de cycle d'adaptation. L'idée était de dresser une photographie de nos attendus, une image plus ou moins floue car il ne s'agissait pas tant de dresser un inventaire complet, précis, et bien formulé que de nous rendre compte collectivement de la portée de nos enseignements au collège. Le constat que l'on peut dresser est que d'une part, bien qu'ayant limité le nombre de compétences-clés à formuler, nous sommes exigeants avec les élèves et que nous partageons de nombreux points communs sur les compétences transversales, notamment tout ce qui concerne la compréhension et le respect des consignes, l'expression orale et écrite, le travail en équipe ou encore le fait de savoir extraire une information d'un document.
Le lecture collective de nos attendus a été discutée et commentée par Dominique Raulin dont je vous livre de nouveau une prise de notes.

Il s'agit désormais de faire le lien entre ce qu'on a fait et le LPC, de voir quels sont les recoupements. DR évoque le problème des consignes : quel protocole d'apprentissage met-on en place quand l'élève ne maîtrise pas une compétence ? L'acharnement pédagogique avec l'exemple des exercices supplémentaires de Mathématiques. Quelles solutions pour l'élève qui ne démarre pas ? Il est aussi perçu que le problème de la compréhension des consignes peut être très divers, à commencer par le fait que l'élève n'ait pas été attentif... Il s'agit donc d'étudier en observation la fréquence de l'échec de l'élève avant d'établir un diagnostic et d'envoyer un élève en soutien ou en PPRE. J'ai aussi évoqué la question de la consigne trop dirigée, qui ne laisse pas de place au cheminement intellectuel de l'élève, voire même à l'erreur. DR a rappelé le risque inverse de tomber dans une relativisme absolu. Les élèves ont besoin d'avoir un modèle de référence (comme par exemple le schéma narratif pour raconter), et des situations de référence.

Pour DR, la direction que nous avons prise est jouable. Se pose la question du curseur de nos exigences également. Un travail d'approfondissement est à mener encore. 
Pour conclure, DR évoque un point préoccupant : la question des notes. Un 15/20 est jugé comme satisfaisant par tous. Mais ce qui est terriblement caché est ce qu'il manque pour atteindre 20 : est-ce fondamental ou anecdotique ? La note ne permet pas de le voir. Dans une logique d'évaluation par compétences, le constat s'éclaircit. Les parents vont donc demander des comptes. Existe-t-il des maladies incurables en terme de compétences pour les élèves ? On va être confronté à des réalités dures. Cela nécessitera de mettre en place, de créer des outils en tant que pédagogue. Il faut aussi avoir en tête que cette démarche d'APC (Approche Par Compétences) marchera pour peut-être 90% des élèves. Les deux-trois élèves qui posent problème en classe ne seront pas concernés, ne voudront pas descendre dans la discipline. C'est une 2e interrogation.
En bilan, Dominique Raulin souhaite ne pas faire du socle commun une usine à gaz, en évitant l'obsession du suivi. Mais il nous recommande de rester en veille en terme d'attitudes. Le LPC est un objectif. La question reste : comment atteindre ces objectifs ?  

Petit bilan personnel
L'intervention d'un spécialiste de la question, extérieur à l'établissement, connaissant bien l'institution, dont il est issu, mais avec une expérience et un recul qui lui permettent de porter un regard sur les évolutions éducatives actuelles, s'avère essentielle pour clarifier les enjeux et dissoudre des craintes infondées concernant le socle. Cela ne veut pas dire que tout est joué ou que tout aille de soit dans sa mise en oeuvre. Comment en effet structurer les apprentissages par compétences en 6e ? Comment valider in fine le socle et le LPC sans se sentir réduit à cocher des croix ? Faut-il abandonner les notes, ou sinon, comment les concilier avec l'approche par compétences ? Quelle part et quelles formes doit-on donner à l'évaluation ? aux "remédiations" ? Des pistes s'esquissent.
L'intérêt enfin de cette demi-journée est aussi de faire émerger ces questions essentielles pour notre métier et de lancer une dynamique collective d'établissement pour prendre en main le socle de façon intelligente et collective. Pourquoi le sens des apprentissages ne concernerait-il que les élèves ?

Et pour moi, il faut étudier Molière parce qu'avant toute autre chose, ses pièces de théâtre sont drôles.